Nature et Monnaie à l'ère de l'anthropocène
Etienne Espagne (CEPII)
Thème : les concepts, leurs articulations, leurs définitions
La double crise financière et climatique contemporaine permet de re-problématiser le fait monétaire, en dévoilant certaines des propriétés d'un medium qu'en temps "normal" on ne pourrait identifier tant il agit sur notre quotidien et nous aveugle par son omniprésence même.Or l'anthropocène est justement le moment de jonction de ces deux crises, qui doivent donc être abordées et pensées ensemble. Nous entendons dans cette intervention dresser les grandes lignes d'une histoire critique des théories monétaires au prisme bien particulier de leur interaction avec l'environnement naturel de l'homme. Nous dégageons finalement les grandes propriétés souhaitables d'une monnaie à l'ère de l'anthropocène.
La monnaie neutre des néo-classiques est ainsi par essence aveugle à l'environnement comme elle est aveugle à la nature des liens sociaux. L'approche dite chartaliste se rapproche d'une vision de la monnaie comme technologie sociale, comme système abstrait de crédit et de compensation. Alors l'environnement, par les services de tous ordres qu'il rend à la société, fait naturellement partie de ce système complexe. De nombreux exemples anthropologiques témoignent (le fei de l'île de Yap) d'un rôle élargi de la monnaie dans l'harmonisation des échanges d'un groupe avec son environnement.
La monnaie contemporaine reflète en permanence cette tension entre sa création essentiellement privée (par un « signe de crédit) et sa validation sociale comme bien public. Elle est ainsi le lieu essentiel de résolution des tensions inhérentes à toute société. Il n'y a alors qu'un pas de plus à faire pour considérer que l'environnement sous tous ses aspects entre de plain-pied dans le cadredes facteurs possibles de tension qu'il incombe à la monnaie de résoudre. Ce pas n'a pourtant pas été franchi dans les faits jusqu'à aujourd'hui alors que les dégradations environnementales tous azimuts se poursuivent à un rythme sans aucun équivalent dans l'histoire humaine.
L'extension de la monétarisation de toute forme de lien social, i-e.l'utilisation de la monnaie comme technologie sociale exclusive, n'est pas unanimement perçue comme une forme de progrès social. La critique principale en estl'insuffisance de cet outil à résumer tous les liens existants au sein d'une société, mais aussi les liens tout à fait particuliers qu'entretient une société avec son environnement. Force est par ailleurs de constater que la théorie économique est assez désarmée devant ces phénomènes et ne parvient pas à encaractériser les causesde manière satisfaisante.
La finance représente enfin dans les économies contemporaines un objet proche de la monnaie tout en lui étant distincte. Ré-encastrer cette finance dans les liens qu'elle génère en permanence avec l'environnement revient à s'interroger sur la meilleure manière d'ancrer les anticipations de valeur future des agents économiques dans toutes les dimensions de la contrainte environnementale.
Cette communication prolongera des réflexions publiées à l'automne 2015 dans un numéro spécial de la revue du Commissariat Général au Développement Durable sur « Nature et Richesse des Nations » (http://www.developpement-durable.gouv.fr/Nature-et-richesse-des-nations.html).
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