Le renouveau de la réflexion théorique sur la monnaie doit être reliée à l'évolution du capitalisme depuis le dernier quart du XXe siècle : la monnaie a été largement vidée de son caractère de bien public pour être mise au service de la financiarisation de l'économie mondiale. Ce processus de quasi-privatisation de la monnaie constitue un recul de son statut d'institution sociale à un moment où la production de valeur et sa réalisation monétaire entrent dans une crise sans précédent.
Il s'agit ici d'aborder de nouvelle façon les relations existant entre le travail productif, la valeur, la monnaie et les représentations de ces institutions.
Considérer que la valeur économique trouve son origine dans les conditions sociales et techniques de production revient-il chez Marx à attribuer une substance intrinsèque aux objets-marchandises ? C'est la thèse d'Orléan qui voit une similitude sur ce point entre la théorie de la valeur-travail et celle de la valeur-utilité. Il les rejette toutes les deux pour adopter une hypothèse mimétique : les individus élisent un bien comme monnaie parce qu'il savent que les autres feront le même choix. Cette élection exprime la généralité du désir de richesse. Dès lors, la valeur ne serait qu'une représentation symbolique, une pure convention (Théret). De plus, Lordon a donné une lecture spinoziste de cette hypothèse qui conduit à l'abandon de toute théorie de la valeur. Or, Condillac , inspiré sans doute par Spinoza, avait énoncé un aphorisme qui sera sous-jacent à la théorie néoclassique de la valeur-utilité : « Une chose n'a pas de valeur parce qu'elle coûte, comme on le suppose ; mais elle coûte parce qu'elle a une valeur. »
La perspective que nous voulons développer est différente. Si l'on exclut la version ricardienne de la valeur sans monnaie, définie par le contenu en travail « concret », thèse aussi bien rejetée, pour des raisons différentes, par Marx que par Simmel, il est possible d'articuler les conditions socio-techniques dans lesquelles le travail est mis en œuvre, la validation sociale par l'échange marchand en monnaie et les représentations sociales liées à l'état des rapports sociaux. Le travail rendu « abstrait » dans l'échange n'est pas une substance intrinsèque à l'objet-marchandise, il est un caractère spécifique des rapports marchands. S'il y a « substance », elle ne peut être que sociale.
Il s'ensuit que les représentations sociales de la richesse et de la valeur marquées par des processus mimétiques et/ou autoréférentiels ne peuvent s'étendre à l'infini. Ainsi, un krach financier est toujours un rappel à l'ordre social et productif, aussi bien dans l'esprit de Marx analysant le capital fictif s'écroulant parce que la valorisation ne pouvait se dispenser du travail, que celui de Keynes théorisant la liquidité, et que celui des post-keynésiens comme Minsky, Wray ou Keen montrant le rôle contradictoire du crédit. L'idée que la monnaie est un rapport social à part entière, et pas seulement une représentation hors-sol, prend tout son sens. Avec pour corollaire l'idée que la monnaie transformée en capital et en capital seul est la crise du capitalisme. Le risque est celui redouté par Polanyi.
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