Le Cartel des Gauches resta au gouvernement de juin 1924 à juillet 1926, mois au cours duquel R. Poincaré revint aux affaires. Son retour eut pour effet d'arrêter la crise du franc sur le marché des changes, sans qu'aucune annonce politique ait été énoncée, et avant même que la déclaration d'investiture du gouvernement ne soit prononcée. Trois jours après que l'on sut que R. Poincaré avait accepté de diriger le gouvernement, le franc s'apprécia de 20 % par rapport à la livre sterling. Comment expliquer le "miracle Poincaré" ?
Nous partons de l'hypothèse que la monnaie est "un lien de confiance", et qu'elle se décline en trois types de confiance: la confiance méthodique, éthique et hiérarchique. C'est cette dernière qui nous intéresse, car nous pensons que la crise du franc, lors du gouvernement du Cartel, est essentiellement due à une perte de confiance hiérarchique en ce gouvernement. En effet, celui-ci n'était plus capable d'assurer son rôle de souverain monétaire, c'est-à-dire qu'il n'était plus en mesure de garantir la valeur du franc. Or, la monnaie est ce qui représente symboliquement l'unité d'une communauté de compte, et si celle-ci est attaquée, c'est la communauté en elle-même qui est fragilisée. D'ordinaire, le souverain est capable de contrer ces attaques, mais le Cartel y a failli. Ainsi, il y eut une perte de confiance hiérarchique dans la monnaie. Cette crise est donc auto-entraînante, dans la mesure où une crise monétaire d'abord économique devient une crise politique dont les effets se répercutent de nouveau dans la sphère économique.
Cependant, deux questions restent en suspens : comment expliquer que la crise économique ait suffisamment d'ampleur pour projeter dans la sphère politique des problèmes initialement économiques ? En d'autres termes, comment s'opère le passage d'une crise économique à une crise politique qui se traduit par une perte de confiance hiérarchique ? Par ailleurs, comment peut-on expliquer l'arrêt de la crise monétaire, à la fois économique et politique, et, in fine, comment la confiance hiérarchique a-t-elle été recouvrée, alors que ce phénomène de crise est auto-entraînant ?
Gramsci et notamment ses concepts de crises organique et hégémonique, et de césarisme nous semblent particulièrement pertinents pour relever ces défis. Le concept de crise organique articule le passage de la crise économique à la crise politique. Celui de crise hégémonique donne à voir les enjeux de pouvoir entre différents groupes sociaux. La notion de césarisme permet d'interpréter la cause du renversement soudain de la valeur du franc sur le marché des changes, dans la mesure où le "César" réussit à instrumentaliser la crise organique pour arriver au pouvoir et à l'arrêter lorsqu'il y parvient. Les raisons de la perte de confiance hiérarchique et son recouvrement peuvent alors être éclairées par ces trois concepts gramsciens qui complètent celui de confiance hiérarchique.